Swissinfo

17. février 2011 - 13:26

A Garmisch, «Rasta Picket» skie pour aider Haïti

Jean-Pierre Roy, un concurrent atypique.

Jean-Pierre Roy, un concurrent atypique. (swissinfo)
Par Samuel Jaberg, swissinfo.ch


Pour la première fois de son histoire, Haïti aligne un représentant aux Mondiaux de ski alpin. A 47 ans, Jean-Pierre Roy se mesure aux champions sur les pentes verglacées de Garmisch, afin de redonner de l’espoir à un pays meurtri par le séisme du 12 janvier 2010.

L’histoire est belle et les médias mordent volontiers à l’hameçon. Jean-Pierre Roy est la coqueluche des Mondiaux de ski alpin de Garmisch-Partenkirchen.
 
Mardi, lors de la présentation de sa combinaison de course aux couleurs de la toute nouvelle fédération haïtienne de ski, l’homme n’a pu contenir ses émotions. «Je suis incroyablement fier de représenter Haïti. Avec cette participation aux Mondiaux de ski alpin, je souhaite qu’on parle au moins une fois de mon pays de manière positive», balbutie-t-il, les yeux humides, face aux nombreux journalistes présents.
 
«Nous voulons donner de l’espoir aux Haïtiens en réalisant quelque chose qui paraissait au départ impossible», ajoute son entraîneur Thierry Montillet, cousin éloigné de l’ancienne championne française Carole Montillet.
 
Derrière un pari un peu fou, inspiré par l’épopée de l’équipe jamaïcaine de bobsleigh aux Jeux de Calgary en 1988 – Jean-Pierre Roy est d’ailleurs surnommé «Rasta Picket»- , se cache un désir profond de venir en aide à un pays lourdement frappé par le séisme meurtrier du 12 janvier 2010: «Lorsque je me suis rendu en Haïti au mois d’octobre dernier, j’ai pu mesurer par moi-même l’étendue du désastre».
 
Un exil précoce
 
L’histoire de Jean-Pierre Roy est celle de millions d’Haïtiens de la diaspora. Fuyant la dictature des Duvalier en 1965, sa famille débarque en France alors que Jean-Pierre n’a que deux ans, après trois semaines d’un éprouvant voyage en bateau. Il découvre les joies du ski pour la première fois à l’âge de 8 ans, en classe de neige. Depuis, il se rend chaque hiver dans les Alpes pour une petite semaine de ski. «C’est le seul sport que je pratique plus ou moins régulièrement», dit-il.
 
L’idée de représenter son pays lors des plus grands événements planétaires du ski alpin germe en marge des Mondiaux de Val d’Isère, en 2009, auquel il assiste en simple spectateur. Avec son ami Thierry Montillet, rencontré quatre ans plus tôt dans un ski-club, il décide de concrétiser le rêve en créant la Fédération haïtienne de ski, dont il est à la fois le président et le seul membre actif.  
 
Le 6 novembre dernier, lorsque la Fédération internationale de ski (FIS) reconnait officiellement la toute nouvelle Fédération haïtienne de ski, les choses se précipitent. «Il  a fallu réellement se lancer dans l’aventure. Au début, j’y allais à reculons, mais là, je suis à fond dedans». Une mission pas des plus évidentes pour ce grand-père de 47 ans, ingénieur informatique dans la vie normale.

Jean-Pierre Roy, chouchou des médias?

Jean-Pierre Roy, chouchou des médias? (swissinfo)


Franchir la ligne debout
 
Depuis deux mois, il a passé plus de 20 jours sur les pistes. Il s’attelle également à redonner un aspect un peu plus athlétique à son physique de bon vivant. «J’ai arrêté la bière et la nourriture trop grasse», se marre-t-il.
 
Pour obtenir son ticket d’entrée aux Mondiaux, où il disputera les qualifications du géant et du slalom, Jean-Pierre Roy a dû passer par deux courses qualificatives. Son défi était de franchir la ligne d’arrivée debout. Il en ira de même lors des Mondiaux. Pour affronter les pistes verglacées de Garmisch, l’homme a un secret peu avouable: «Un anti-fart, qui doit m’éviter de prendre trop de vitesse».
  
N’y-a-t-il pas un risque que Jean-Pierre Roy devienne le dindon de la farce de ces Mondiaux, comme ce nageur de Guinée équatoriale dont la ‘performance’ aux Jeux olympiques de Sydney en 2000 avait fait le tour des télévisions du globe? «Je ne crois pas, répond Thierry Montillet. Les réactions sont très positives. Il représente Monsieur et Madame tout le monde qui s’invite aux Championnats du monde.»
 
Pour Jean-Pierre Roy, cela permet au public de se rendre encore davantage compte «des performances exceptionnelles de leurs champions. Sur les pistes normales, je skie bien, mais sur les pistes des champions, je redeviens un débutant».
 
Les conseils de Cuche
 
Les champions, eux, ont en tout cas vite adopté le sympathique bonhomme. «Ils me donnent tous des conseils. Didier Cuche m’a par exemple expliqué comment arrondir les virages après les portes». L’homme est également fier de partager son petit-déjeuner avec l’Autrichienne Elisabeth Görgl, championne du monde de descente et de super-G. Ses idoles sont avant tout françaises, mais il admire tous les skieurs du circuit, conscient qu’il lui faudrait «des années» pour parvenir à imiter leurs mouvements entre les piquets.  
 
Ce n’est pas la première fois que le représentant d’un pays dépourvu de montagnes enneigées s’aligne dans une compétition internationale. Le plus célèbre d’entre étant le Sénégalais Lamine Guèye. Il y a deux, à Val d’Isère, il avait exprimé sa colère à l’égard de la Fédération internationale de ski (FIS), dénonçant le manque d’égard à l’écart des «petites nations», contraintes de passer par des manches qualificatives pour participer à l’événement.
 
Urs Lehmann, président de la Fédération suisse, estime que le ski doit être un sport global et qu’il ne «suffit pas de voir des Français, des Allemands, des Italiens ou des Suisses au départ. Les Haïtiens doivent aussi se sentir partie prenante de l’événement.» Toutefois, l’idée d ’une sélection préalable lui paraît juste. «Je suis tout à fait d’accord avec la stratégie de la FIS».
 
Jean-Pierre Roy a, lui, déjà gagné son pari de rendre visible son action. Son dernier geste, il le réalisera au bas des pistes, au terme du géant de vendredi. Il fera signer sa combinaison par tous les médaillés du jour avant de la vendre au profit d’une association active dans l’éducation en Haïti. Car «en apprenant à lire et à écrire aux gens, on sauve des milliers de vie».

Samuel Jaberg, swissinfo.ch
Garmisch-Partenkirchen